A la Bastille !

Le 14 juillet est une date qui a toujours fait frétiller mon petit cœur révolutionnaire, et sûrement pas à cause du défilé militaire du type des pires régimes totalitaires (genre, TOTALEMENT au hasard, la Corée du Nord). Je me demandais depuis longtemps comment faire le lien entre cette date et le sujet du blog, mais il y a de plus en plus de documents accessibles grâce à internet et c'est maintenant presque facile :)

La mode, j'en ai déjà parlé un peu ici, n'est pas restée indifférente à la Révolution. Je vais me concentrer dans cet article uniquement sur la prise de la Bastille et les quelques jours qui l'entourent, et leurs répercussions sur les apparences.

On va s'intéresser au principal (le seul ?) journal de mode de l'époque : Le Magasin des Modes (les extraits viennent tous de la Bunka Library). Comment réagit-il à l'événement ? Le Magasin paraît tous les 10 jours, il se distribue sur abonnement, et le transport de ses abonnements, notamment en province, peut être assez long. Le numéro du 11 juillet n'est, bien sûr, pas livré dans les temps. La première réaction du magazine, le 21 juillet, est d'abord de répondre à cette "malheureuse" circonstance.


Les "circonstances trop fameuses et trop malheureuses" dont on espère qu'elles ne se reproduiront pas ("surtout pour les mêmes raisons") sont si connues de tous que l'on ne prend même pas la peine de les nommer : mais ce sont des "catastrophes funestes". Après tout, elles ont empêché que l'on se soucie des modes des 12 derniers jours ! Derrière cet aveu, on peut aussi envisager que même le monde de la mode parisienne s'est mis en pause pendant les événements.

Il faut dire qu'il se passe énormément de choses après le 11 juillet. On a tendance à ne retenir que la date du 14, mais Paris s'est soulevé dès le 12. Necker, très populaire auprès du Tiers-Etat, qui le voit comme un protecteur contre les intrigues de la Cour, a été renvoyé le 11. Le 12, de nombreuses personnes protestent, des attroupements se forment autour d'orateurs, dont au moins deux, sont retenus par l'histoire : le Marquis de Saint Hurugue (la dernière ligne du texte en lien est concombre : il ameuta la "populace"...) et Camille Desmoulins, encore parfaitement inconnu, qui harangue la foule au Palais Royal contre l'arbitraire royal.

Probablement Desmoulins - Gouache Le Sueur - Musée Carnavalet

Les manifestants (pas encore émeutiers) sont alors allés chercher au 20 bd du Temple, chez un ancêtre du célèbre musée de cire de Madame Tussaud, les bustes de Necker et du Duc d'Orléans, et les ont portés en triomphe.

 Les têtes de Necker et du Duc D'Orléans - Gouache Le Sueur - Musée Carnavalet

Arrivée Place Vendôme, la cavalerie à chargé la foule : deux morts, des dizaines de blessés. C'est la première fois, depuis la réunion des Etats Généraux que le sang coule. La foule, repoussée jusqu'à la place Louis XV (actuelle Concorde), panique, ce qui n'empêche pas le Royal Allemand dirigé par le Duc de Lambesc, de charger à nouveau. Sauf que que la place Louis XV et le Tuileries attenantes sont une promenade familiale et élégante. On est en plein milieu de l'après-midi, des enfants sont malmenés en même temps que les manifestants, ce qui choque toute la capitale.

 La Prince de Lambesc aux Tuileries - Gouache Le Sueur - Musée Carnavalet

Charge du prince de Lambesc à la tête du régiment Royal allemand 
le 12 juillet 1789, par Jean-Baptiste Lallemand  - Musée Carnavalet

Ce soir-là, les troupes suisses stationnées aux Champs de Mars ont été rappelées : on a donc demandé à des troupes étrangères de venir mater la population parisienne. Le lendemain, la colère face aux charges de la veille ainsi que la provocation du Régiment suisse s'est doublée de la colère sur le prix du pain, au prix le plus cher du siècle. La trois-quart des barrières d'octroi qui entourent Paris ont été brûlées en signe de protestation. Entourée par les incendies, sous la menace d'un attaque par un bataillon étranger, la ville de Paris s'est alors créé sa propre milice bourgeoise, qui deviendra bientôt la Garde Nationale, d'environ 50 000 et qui porte une cocarde aux armes de la ville : bleu et rouge. Pour l'armer, on a cherché des armes au Garde- Meuble et aux Invalides. La poudre, elle, était à la Bastille.

Dans ces conditions, évidemment, impossible de penser à la mode. Quoique... Hasard des circonstances, le 11 juillet, le costume d'homme présenté est aux couleurs de Paris !!


Il ne faudrait pas faire l'erreur d'y lire quelque chose de politique de la part du journal. 


Néanmoins, il est intéressant qu'à ce moment précis, les couleurs de la ville de Paris sont à la mode. Influence subliminale de l'effervescence que provoque la tenue de l'Assemblée Nationale ? Mais elle se tient à Versailles, pas à Paris (et d'ailleurs, c'est ce qui poussera les femmes de la Halles à aller chercher le roi à Versailles et de le ramener à Paris, où il sera rejoint par l'Assemblée : car la politique doit se faire au cœur de la capitale).

Toujours est-il qu'à ce moment précis, le magazine n'est toujours pas un franc partisan des événements. Le 11 août, on rassure le chaland : ce n'est pas grave si le travail de suivie des modes est mal fait, puisque les modes ne changent pas tellement.


Le 25, on essaie toujours de rattraper le retard, et on décide de dater le numéro du 1er Septembre. 


On refuse toujours de nommer les événements qui "bloquent" la parution et la distribution correcte des abonnements : l'abolition des privilèges ? Nenni. (La Déclaration des Droits de l'homme date du 26)

De quoi parle-ton dans ces numéros (le 24 juillet, le 1er août, le 11 août, le "1er septembre", le 11 septembre) qui suivent la Prise de la Bastille ? Le premier, sans doute préparer avant, n'est pas forcément significatif. Les suivants parlent de canapé, de fauteuil, de calèche, de boucles de chaussures et de deuil ! On comble les manques des modes par du mobilier et des voitures : ça, ce n'est pas particulièrement surprenant. Ce n'est pas la première fois que le journal montrent de telles gravures, mais c'est la première fois que ça touche quatre numéros de suite.

Le 11 Août

Le "1er Septembre"

Les boucles de chaussures brillent par leur frivolité : l'un d'elles est une référence à une pièce de théâtre !

Le "1er Septembre"

Les vêtement de deuil sont la seule référence à un événement politique : le deuil du Dauphin (la mort d'un héritier de la couronne). Encore une fois, rien de nouveau. Sauf que TOUS les vêtements des numéros présentés portent le deuil du Dauphin. On peut se demander : et de quoi d'autre ?


Le 1er Août



Le 11 Août

Le 11 septembre, alors que le numéro précédent insistait sur le fait que le deuil finissait le 20 août (le numéro du "1er septembre" ne présentait aucune robe), on présente des habits qui ressemblent à s'y méprendre à du deuil. 


Le 11 Septembre

L'explication du costume d'homme est importante : si on porte un habit qui ressemble au deuil, c'est pour se distinguer de l'uniforme. Mais qui porte l'uniforme à ce moment-là, dont il faudrait se distinguer ? Il y a la Garde Nationale nouvellement créée. Mais c'est une milice bourgeoise, que le journal met en contradiction avec l'habit bourgeois. C'est un dichotomie qui ne peut pas tenir.

Le 21 septembre, volte-face spectaculaire.  Le journal qui parlait des malheurs de l'été s'est trouvé un patriotisme.



La première gravure offre une cocarde à la nation. Détail intéressant : bien que le roi ait officiellement accepté la cocarde le 17 juillet, et qu'elle est alors devenue aux trois couleurs, celle-ci est ostensiblement bleue et rouge. Couleurs de Paris, de la cocarde de la Garde nationale, et... du Tiers Etat. Comme la cocarde de la caricature ci-dessous. Qui associe cette cocarde à la Bastille. La cocarde nationale, c'est alors celle des vainqueurs de la Bastille.

 Le réveil du Tiers Etat qui brise ses chaînes 
sur fond de Bastille prise (Anonyme - Musée Carnavalet).

Dans le même numéro, la seconde gravure présente une robe aux Trois-ordres, associée à une apologie de la révolution qu'un mois plutôt on ne voulait même pas nommer.




Le numéro suivant fait l'apologie de l'uniforme, qui est la mode principale qui règne à Paris.



Et la boucle se referme enfin, deux numéros plus loin, le 11 novembre. Triplé gagnant pour ce numéro qui célèbre la prise de la Bastille, enfin, mais aussi le Tiers-Etat, et les trois couleurs de la nation.

Premièrement une boucle de chaussure représentant un plan schématisé de la bastille. A l'époque, la Bastille est devenue un motif récurent de l'ameublement, des poignées de porte, des boutons (je conseille d'aller voir la salle Bastille du musée Carnavalet pour des exemples extras de tout ça : je suis très fan).



Puis la boucle aux Tiers-Etat. Je cherche encore la symbolique associée au Tiers de ce triangle et de ce cœur... EDIT : un petit oiseau (merci Eurydice Vial) m'a dit à l'oreille que le triangle représentant sans doute 1/3, comme 1/3 de cercle, 1 Tiers-Etat. Certes, c'est un petit 1/3, mais c'est la meilleur explication que j'ai eu jusqu'à présent. D'autant plus que tri-angle, trois angles, pour le troisième ordre, ça marche aussi.



Et enfin, les trois couleurs de la nation. Exemple qui tend aussi à prouver que la mode s'est à ce point approprié les trois couleurs qu'on produit des rubans et des tissus à ce motif. A ce sujet, le journal semble très en retard.



Le Magasin des modes Nouvelles va mourir peu de temps après, sans doute pas assez "patriote", il se vend mal. Il renaîtra sous la forme du Journal de la mode et du gout, au début der 1790, journal beaucoup plus révolutionnaire... ou du moins, qui essaie de le faire croire !

Sur ce, moi, je vais voir le feu d'artifice : à la Bastille !!!!!

Commentaires

  1. Very Interesting article. The translation from French to English wasn't great on line but I understood a lot. Thank you.

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  2. Thank you !

    I wish there was a better online translator for french, because I have no project for turning my blog bilingual any time soon :(

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